Fondateur de la zététique moderne
Truzzi était un professeur de sociologie de l’Université du Michigan. Ses origines familiales le firent baigner dans le cirque et, plus particulièrement, dans le jonglage, dont il fut l’un des historiens. Magicien professionnel, il cumulait les domaines de compétences et cultivait sa curiosité pour toutes les sciences. Sociologue, il était célèbre pour ses nombreux textes, dont le best-seller de 1968 : « La sociologie au quotidien ». En criminologue, anthropologue mais aussi zététicien, on lui doit avec Arthur Lyons le livre « The Blue Sense » (1992) qui analyse plusieurs cas de « voyants détectives » usant de leur « flair » pour résoudre des crimes. Le plus souvent, Truzzi et Lyons trouvèrent que les résultats des voyants avaient été exagérés, mais ils ne dénigrèrent pas complètement de telles possibilités, pensant même qu’il existait quelques cas isolés où les voyants avaient pu donner des indices essentiels. Sa carrière de sceptique est à l’image de cette investigation aux conclusions pondérées : c’est un sceptique « équilibré », préconisant de considérer les preuves avec tous les points de vue possibles. Nous allons tout d’abord nous pencher sur la façon dont il a encouragé le dialogue entre sceptiques et parapsychologues, pour ensuite évaluer l’impact de son travail sur le monde de la métapsychique.
Le pionnier de la zététique
Truzzi co-fonda le CSICOP (Comité pour l’Investigation Scientifique des Prétentions Paranormales – et accessoirement jeu de mots phonique pour dire « psi-cop », soit « flic du psi » !) avec Paul Kurtz en 1976. Il aida à l’écriture des statuts et à l’édition de la première revue baptisée Zetetic. Le but du comité était initialement de s’engager dans une étude équitable des affirmations des tenants du paranormal. Après chaque enquête approfondie, le comité devait publier ses résultats, qu’ils soient ou ne soient pas en faveur de l’hypothèse paranormale. D’abord enthousiaste à l’idée de participer à une activité sceptique de doute méthodique, il reprocha la ferveur dans la croisade contre « l’irrationalisme », terme par lequel les membres du CSICOP caractérisaient souvent les opinions contraires à la leur. Se définissant lui-même comme zététicien, en référence à un « art du doute » d’une antique école philosophique, il s’indigne des pratiques zélées de ses confrères Paul Kurtz, Martin Gardner, James Randi, Ray Hyman et Dennis Rawlins. Il ne souhaite pas « casser du paranormal », selon la pratique du « debunking » (de la « moquerie », dira Truzzi), qui revient à porter un déni sur un ensemble d’expériences et à traiter les proto-scientifiques comme des adversaires. C’est pourquoi il critiqua plus tard le « projet Alpha » de Randi visant à infiltrer des prestidigitateurs dans le laboratoire de parapsychologie de l’Université Washington à St-Louis, dans le seul but de provoquer un scandale qui conduisit à la fermeture de ce laboratoire [1].
C’est finalement en 1977, lors de l’affaire autour d’une analyse de l’« effet Mars » revendiqué en astrologie par Gauquelin, que Truzzi remit sa démission au CSICOP. L’assertion de Gauquelin impliquait de meilleures aptitudes sportives des personnes nées « sous la planète Mars ». Le statisticien Marvin Zelen avait suggéré une nouvelle étude de cette assertion, appuyé dans sa démarche par Truzzi. Le CSICOP a donc sponsorisé une étude qui tourna au fiasco : plusieurs événements amenèrent le doute sur l’impartialité des procédures utilisées par le comité. Dennis Rawlins, qui s’occupait de la recherche, confessa que le président du comité Paul Kurtz avait voulu savoir quelle direction prenaient les données avant de compléter la procédure en les publiant. Truzzi nota également un ensemble de biais dans la façon de traiter les résultats en les réinterprétant négativement après-coup.
Truzzi employa la notion de « pseudo-scepticisme » pour se faire le critique de ses collègues.
Par pseudo-sceptiques, Truzzi entendait ceux qui cultivent leurs préjugés sans passer par le terrain de l’enquête et de l’expérience. Lui-même confia au New York Times qu’il ne doutait pas que 99% de l’occultisme était empiriquement faux, mais son approche restait basée sur l’examen des preuves par des personnes qualifiées pour le faire, et non sur la condamnation catégorique.
Il leur reprocha leur manque d’objectivité, leur allégeance aux médias, et l’aspect unilatéral de leur démarche sceptique. Il comprit que, sous couverture de prestige scientifique, le CSICOP était plus une entreprise de propagande qu’une organisation scientifique. « L’intérêt majeur du comité n’était pas d’enquêter, mais de servir comme (…) un groupe de relations publiques pour l’orthodoxie scientifique » [2]. Son objection principale était que le CSICOP prenait souvent position publiquement comme s’il représentait la communauté scientifique dans son ensemble, alors que ses membres ne pouvaient pas être qualifiés pour être plus que de simples avocats d’une certaine vision du monde.
Du Zététicien à l’Anomaliste
Truzzi se dissocia donc du CSICOP, fonda et dirigea en 1981 le Centre de Recherche sur les Anomalies Scientifiques, même s’il commença dès 1978 à publier le Zetetic Scholar (ZS), une revue conçue pour permettre la discussion sur des anomalies et des théories non-orthodoxes. La revue publia des articles et des débats portant sur la parapsychologie, l’ufologie, l’astrologie, et sur la zoologie et l’anthropologie non-orthodoxes. Durant sa brève existence de 1978 à 1987, le ZS a su être une alternative pédagogique et impartiale au Skeptical Inquirer nouvellement publié par le CSICOP.
En 1982, Truzzi devint l’un des fondateurs de la Society for Scientific Exploration (SSE), réalisant à plusieurs égards ce qu’il avait espéré comme destin pour le CSICOP : un moyen d’examiner scientifiquement les anomalies. Car, contrairement au CSICOP qui était guidé par un point de vue corporatiste, la SSE se voulait un forum pour les chercheurs qui ne soit pas dirigé par une poignée de membres influents. Au fil des ans, la participation de Truzzi à la SSE est devenue importante, tant dans son rôle de conseiller, que dans celui de porte-parole et de participant actif.
Truzzi est aussi devenu membre associé de la Parapsychological Association, et il fréquentait le milieu des parapsychologues où ceux-ci, tel Krippner, étaient surpris de son ouverture d’esprit tandis que lui-même était surpris de leur scepticisme [3]. Il avait une connaissance encyclopédique non seulement des arguments sceptiques, mais aussi de l’histoire et de la pratique parapsychologique, tout autant que de la philosophie des sciences. Si bien que le professeur Daryl J. Bem remarquait encore récemment : « Avant qu’il y ait Google, il y avait Marcello » [4].
« En fait, c’est le seul « sceptique » dont j’ai vraiment senti qu’il faisait son travail en gardant un esprit ouvert et impartial. » Lyn Buchanan, participante au programme de Remote Viewing de l’US Army.
Il participa à l’International Remote Viewing Association dès 1999, en impulsant et en conseillant l’organisation des recherches sur la vision à distance, et également en faisant une conférence importante sur le scepticisme et le Remote Viewing pour le congrès tenu à Mesquite, au Nevada, en l’an 2000.
« Je suis convaincu que la première obligation de n’importe quel enquêteur ou scientifique est de ne rien faire pour bloquer l’enquête. Le rôle d’un sceptique devrait être de ne pas freiner la recherche, mais de la mettre au défi et de l’examiner. Je ne suis pas opposé aux supposées anomalies et à l’idée de laisser la porte ouverte à de nouveaux phénomènes. Selon mon expérience, la majorité des personnes qui travaillent dans le champ de la parapsychologie le font de façon honnête et sincère, en essayant de faire leur métier le mieux possible. Il y a certainement des voiles par endroits qui doivent être dévoilés, mais je pense que nous devons être très prudent pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. » Communication à l’écrivaine Lois Duncan.
Truzzi a établi une importante distinction entre les « crypto » et les « para » sciences. Les cryptosciences étudient des « objets cachés » dont l’existence peut être prouvée par la démonstration publique d’un seul spécimen de la catégorie mise en cause (par exemple, une carcasse de Bigfoot). Par contraste, les parasciences ont à faire avec des types inattendus de causalité, telle que la psychokinésie. La preuve en parasciences doit le plus souvent être inférée (par exemple via les statistiques), ne pouvant se suffire d’une unique démonstration publique. Truzzi considérait donc que la parapsychologie allait dans le bon sens, et qu’on pouvait même parler à son sujet d’une proto-science, d’une science en devenir. On doit également à Truzzi, avant Carl Sagan, l’idée que « des affirmations extraordinaires appellent des preuves extraordinaires ». Mais Truzzi est revenu sur cette phrase en concluant que c’était un illogisme vide de sens, et qu’il s’accordait avec la critique qu’en avait faite John Palmer [5].
Les efforts de Truzzi ont conduit de nombreux parapsychologues à prendre des précautions supplémentaires dans leurs protocoles pour prévenir les fraudes. Il les poussa à consulter des prestidigitateurs et aida de nombreux chercheurs à améliorer leurs connaissances sur l’illusionnisme et le mentalisme. Truzzi voyait la science comme un système auto-correctif : il croyait dans le processus scientifique, dans sa capacité à progresser naturellement si une diversité d’opinions et de dialogues était encouragée [cf. note 2]. En France comme ailleurs, zététiciens et métapsychistes devraient chercher à honorer la mémoire de Truzzi.
A consulter :
- Site en hommage à Truzzi par G.P. Hansen.
- Article avec une bibliographie très complète sur la carrière de Truzzi : Gerd H. Hovelmann, Devianz und Anomalistik : Bewährungsproben der Wissenschaft, Prof. Dr. Marcello Truzzi (1935-2003), Zeitschrift für Anomalistik Band 5 (2005), S. 5-30. Télécharger le PDF