Le mythe du sceptique parfait

Dans son édition de mai/juin 2007, le Skeptical Inquirer, publié par le CSI, propose un article intitulé « The Myth of Consistent Skepticism » qui étudie certains biais psychologiques qui touchent tout aussi bien les non-sceptiques que les sceptiques. Comme le soulignent les deux auteurs de cet article, Todd C. Riniolo et Lee Nisbet, même des « sceptiques peuvent refuser de changer leur point de vue face à des preuves substantielles le contredisant ». Nous sommes en effet tous sujet à des phénomènes de croyance ayant pour origine :

→ Un manque de temps permettant d’évaluer tous les éléments sur lesquels se fondent nos convictions,
→ Une tendance à effectuer davantage l’étude critique des faits apparaissant comme non consistants avec notre vision du monde,
→ Des pensées et des croyances qui se sont développées avant l’apprentissage d’une pensée sceptique,
→ Des pensées fondées principalement sur des composantes émotionnelles,
→ La limitation de nos compétences à des domaines spécialisés.

En outre, un certain nombre de biais psychologiques altèrent profondément notre perception du monde. Les auteurs en soulignent en particulier trois :

→ Le biais de confirmation : nous avons tendance à sélectionner les informations qui confirment nos croyances antérieures.
→ Le biais d’assimilation : nous avons tendance à mieux intégrer les éléments allants dans le sens de nos croyances. Ainsi, face à des faits ne confirmant pas nos croyances, nous avons tendance à les analyser de façon biaisée.
→ Le biais de persévérance : Il est fréquent, et cela même face à des éléments indiquant clairement que nos croyances sont erronées, à maintenir ces croyances.

Riniolo et Nisbet proposent d’étudier le cas particulier d’Einstein. Nommé par le CSICOP dans le « top 10 des sceptiques », Einstein a pu montrer, en politique, c’est-à-dire hors de son domaine de compétence, un certain nombre d’a priori biaisant son jugement. Ainsi, même un scientifique particulièrement sceptique ne peut être un sceptique parfait.

A ce propos, on remarquera qu’Einstein, vis-à-vis de la parapsychologie, avait un abord réellement zététique. Malgré des réticences initiales à prendre au sérieux ces recherches, pour des raisons théoriques, il accepta d’étudier les travaux de Rhine indiquant dans des échanges épistolaires : « Il y a quelques années j’ai lu le livre du Dr Rhine. Je n’ai pu trouver absolument aucune explication concernant les données qu’il rapporte ». Il précisa également dans une lettre plus tardive envoyée en 1946 au parapsychologue Ehrenwald, à propos des résultats de la parapsychologie qu’« on ne devrait pas aller de par le monde avec des œillères ». Einstein avait manifestement été ébranlé dans ses convictions initiales en prenant connaissance des expériences de télépathie publiées par son ami Upton Sinclair.

Riniolo et Nisbet proposent un autre exemple touchant au domaine de la pseudo-parapsychologie : Conan Doyle et les fées de Cottingley. Malgré l’approche particulièrement rationnelle et précise de Sherlock Holmes, le héros des romans de Conan Doyle, ce dernier, face à la mise en évidence flagrante de l’origine frauduleuse des photographies de ces fées, ne reconnut jamais cette explication. Il s’agit là d’un bon exemple du biais de persévérance.

La connaissance de ces différents biais psychologiques est fondamentale pour l’étude des phénomènes réputés paranormaux. Il est toujours nécessaire de se remettre en question et de s’interroger : quelles sont mes convictions et mes croyances les plus profondes ? Ne risquent-elles pas d’avoir un impact sur mon jugement ?

Les pseudo-sceptiques sont généralement les premiers à diffuser une telle approche. Mais paradoxalement, il leur arrive souvent de ne pas les appliquer pour ce qui concerne l’étude de la parpasychologie. Riniolo et Nisbet donnent des exemples de questionnement permettant de s’interroger concernant les conséquences de nos choix de lecture en fonction du biais de confirmation. Il est possible de les étendre de façon plus générale et la parapsychologie et au scepticisme :

Ainsi si vous êtes de tendance sceptique, posez-vous les questions suivantes :

→ Avez-vous déjà lu un ouvrage de parapsychologie scientifique ? De combien de ces ouvrages disposez-vous dans votre bibliothèque ?
→ Avez-vous déjà consulté une revue de parapsychologie scientifique ?
→ Êtes vous abonné à l’une de ces revues ?
→ Avez-vous déjà consulté les actes d’un congrès de parapsychologie ? Vous y êtes vous déjà rendu ?
→ Avez-vous déjà rencontré un ou des parapsychologues ?
→ Êtes vous déjà allé dans un laboratoire de recherche de parapsychologie ?
→ Avez-vous déjà reproduit un protocole de parapsychologie ?

Et si vous êtes davantage de tendance parapsychologique :

→ Avez-vous déjà lu un ouvrage sceptique ou zététique ?
→ Combien de ces ouvrages avec-vous dans votre bibliothèque ?
→ Avez-vous déjà consulté une revue sceptique ou zététique ?
→ Êtes-vous abonné à l’une de ces revues ?
→ Avez-vous déjà consulté les actes d’un congrès sceptique ? Vous y êtes vous déjà rendu ?
→ Avez-vous déjà rencontré un ou des sceptiques ?
→ Connaissez-vous les critiques sceptiques des protocoles de parapsychologie ?
→ Connaissez-vous les expériences effectuées par des sceptiques ?

Dans un cas comme dans l’autre, si vous réponses sont pour la plupart négatives, c’est mauvais signe ! Vous êtes certainement largement atteints par le biais de confirmation, source en grande partie du pseudo-scepticisme et de la pseudo-parapsychologie. Malheureusement, rares sont ceux qui se posent honnêtement ces questions, la plupart préférant se cantonner à des convictions et des croyances somme toutes plus confortables pour l’esprit…

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