Henri Broch et les critiques de J.B. Rhine

Henri Broch, dont nous avons déjà parlé, critique à plusieurs reprises, dans ses différents ouvrages, les travaux de J.B. Rhine. Ce dernier est pourtant considéré par les parapsychologues comme l’un des pères de la parapsychologie scientifique. Il fut en effet l’un des premiers à tenter d’étudier scientifiquement, et dans le cadre du laboratoire certains phénomènes réputés paranormaux. Il est donc important d’étudier dans le détail les critiques d’Henri Broch car il serait effectivement très problématique si les travaux de J.B. Rhine s’avéraient de bien piètre qualité.

Henri Broch affirme ainsi, notamment dans un article présent sur le site de l’université de Nice :

« Exit les résultats époustouflants d’un J.B. Rhine (présenté – sans rire – comme « le père de la parapsychologie scientifique ») obtenus à partir d’un tri intellectuellement malhonnête des données et/ou d’une utilisation de cartes de Zener tellement mal faites que même un débutant refuserait de travailler avec ! Après plusieurs achats au cours des années, j’ai encore acheté en octobre 2000 des cartes de Zener (cinq symboles : carré, rond, croix, étoile, vague) à « l’Institut de Rhine ». Incroyable mais vrai : elles sont toujours très mal faites après plus de 60 années de fignolage par les savants parapsychologues ! Et elles ont encore un dos non symétrique !! On peut ainsi très facilement reconnaître des cartes de dos et faire allègrement grimper les statistiques sans le plus petit pouvoir-psi. Et après cela, d’aucuns tresseront toujours une auréole de scientificité aux expériences de J.B. Rhine et de ses successeurs Sans commentaire. »

Récapitulons les critiques d’Henri Broch concernant les expériences de Rhine :

→ les résultats ont été obtenus par un tri intellectuellement malhonnête des données,

→ les résultats sont aussi la conséquence de cartes mal faites : leur dos n’est pas symétrique.

Henri Broch, à partir de ces deux arguments critique avec beaucoup de mépris et d’ironie non seulement J.B.Rhine mais aussi ceux qui se réfèreraient encore à ses travaux, ce qui implique l’ensemble de la communauté parapsychologique. Il est donc essentiel de déterminer si ces critiques sont justifiées.

Des cartes mal faites

Ce premier argument paraît assez décisif puisque Henri Broch a encore acheté, en 2000, des cartes qui ne sont pas parfaites. N’est-ce pas la preuve de l’incompétence des parapsychologues ?

Outre le fait que les parapsychologues n’utilisent plus les cartes de Zener depuis des décennies, cet argument ne résiste pas à l’analyse détaillée des faits que voici.

Cette critique n’est pas récente. Elle fut adressée à Rhine, il y a déjà fort longtemps, pour des raisons assez proches : il était possible de deviner les symboles sous certains angles et selon certaines luminosités en regardant le dos des cartes. Ces défauts de fabrication proviennent de l’impression des cartes, défauts que Rhine ne pouvait prévoir comme il l’indique dans ESP after sixty years. La réimpression des cartes aurait eu un coup que le laboratoire ne pouvait assumer. C’est pourquoi Rhine indiqua dès leur parution, dans le Journal of Parapsychology, qu’il ne fallait pas utiliser les cartes sans qu’il y ait un cache afin d’éviter que les sujets puissent obtenir des informations par ce biais. Ainsi, s’il est vrai que lors des toutes premières expériences de Rhine, cette précaution n’était pas prise, elle fut très rapidement mise en place et étendue à l’ensemble des expériences.

Les expériences de Rhine furent ensuite effectuées dans des conditions expérimentales qui excluaient la possibilité pour le sujet de voir le dos des cartes. Outre l’utilisation d’un cache, dans un certain nombre d’expériences le sujet était situé dans un autre bâtiment. On remarquera d’ailleurs que le biais potentiel provenant du dos des cartes n’a jamais été démontré. Les résultats obtenus par Rhine sont en effet tout aussi significatifs quand les sujets voient le dos des cartes que lorsqu’ils sont situés dans un autre bâtiment (voir D.Radin, La conscience invisible, p.109)

Le tri malhonnête des données

Ce deuxième argument est tout aussi important car si J.B.Rhine avait sélectionné ses données, cela invaliderait bien entendu ses résultats et l’ensemble de ses travaux. Henri Broch ne propose pas de référence dans son article Internet, mais on peut trouver cette référence dans son plus récent ouvrage. Si Henri Broch se permet une telle affirmation, c’est qu’il se réfère aux propos du Prix Nobel de chimie de 1932, Irving Langmuir, que l’on peut trouver retranscrits ici. Langmuir y rapporte une conversation avec Rhine dans laquelle Rhine lui aurait indiqué sélectionner les données. Voyons cet argument dans le détail :

→ Il s’agit d’une retranscription d’un discours de Langmuir par Robert Hall. Cette retranscription a été effectuée en 1985, soit 32 ans après la conférence de Langmuir qui a eu lieu en 1953.

→ La retranscription provient d’un enregistrement de mauvaise qualité dans lequel il manque des passages.

→ Le discours de Langmuir porte sur une rencontre effectuée avec Rhine en 1934, soit 19 ans avant la conférence.

La retranscription a été publiée non seulement après la mort de Rhine, mais aussi après la mort de Langmuir. Aucun des deux protagonistes n’a publié de documents concernant cette rencontre de leur vivant. Aucun n’a bien entendu pu réagir à cette retranscription.

Cependant, nous disposons de la version de J.B.Rhine, confiée à Denis Brian le 31 juillet 1978 et publiée en 1982 (p.163 de The Enchtanted Voyager : The Life of J.B.Rhine). Voici ce que dit Brian :

Famed scientist Irving Langmuir, awarded the Nobel Prize for chemistry in 1932, devoted most of one day attempting to prove to Rhine that ESP was a myth and Rhine ’s methodology ridiculously inept and inadequate. What had aroused Langmuir was the behaviour of a nephew at M.I.T., who read Rhine ’s first book, Extra-Sensory Perception, and immediately plunged into his own ESP experiments, which gave positive results. In vain Langmuir tried to ridicule the nephew into quitting, then predicted that if he persisted in the tests he would eventually and inevitably get chance results. After telling Rhine of the foolish nephew, Langmuir concentrated on the foolish Rhine. First he gave Rhine a long list of definitions of science and of nonscience. Then he described one of Rhine ’s experiments and said that every single approach he had defined as “nonscientific” was manifest in that experiment. “True,” Rhine replied to Langmuir. “If I had done the experiment the way you’ve described it, I’d agree with you that it was nonscientific. But you haven’t read my account. I didn’t do it the way you’ve described.

Il est fort probable que Rhine a essayé d’expliqué à Langmuir le psi-missing. Ce dernier l’aurait manifestement mal compris. Ces différents éléments montre à quel point cette référence à Langmuir est peu crédible. Pour les incrédules, nous pouvons rappeller que :

→ un autre élément montre le peu de fiabilité des propos de Langmuir. Il est fait référence à des cartes dans des enveloppes scellées, fruit d’essais qui ne seraient pas publiés. Cet élément n’a pas de cohérence : les résultats étaient enregistrés sur des fiches de résultats.

→ Dans les années au cours desquelles Rhine et Langmuir se sont rencontrés, il y eut un large débat scientifique autour des expériences de Rhine, impliquant de nombreux scientifiques de qualité. Rhine publia ensuite, avec Pratt, un ouvrage intitulé ESP after sixty years. Dans cet ouvrage, Rhine et Pratt démontrent clairement qu’il n y a pas eu tri des données.

→ On peut aussi d’ailleurs noter à ce propos la position du professeur H.J. Eysenck, directeur du département de psychologie à l’université de Londres, qui écrivit en 1957 :

A moins d’une gigantesque conspiration, qui impliquerait une trentaine de départements universitaires dans le monde entier et des centaines de scientifiques très respectés dans différents domaines et souvent hostiles de prime abord aux hypothèses de la recherche psychique […], la seule conclusion à laquelle un observateur impartial doive parvenir est qu’il existe un petit nombre de gens qui peuvent obtenir une information existant soit dans les esprits d’autres personnes, soit dans le monde extérieur, par des moyens que la science ignore encore.

→ Un autre scientifique, John Wheeler, avait fait le même type d’affirmation que Langmuir – fraude de la part de Rhine – lors d’un congrès de l’AAAS. Wheeler a du s’excuser publiquement dans la revue Science de ses propos qui ne reposaient sur aucun fait. Pour plus de détails voir ici.

→ Plus récemment, Dean Radin a étudié les données qu’il aurait été nécessaire de cacher pour obtenir des résultats non significatifs. Il existe en effet des outils statistiques pour analyser « l’effet tiroir ». Pour réduire à un effet non significatif les résultats obtenus par Rhine, il aurait fallu 29 000 études, soit 861 compte-rendus d’échec dissimulés pour chaque rapport publié. Selon le psychologue Robert Rosenthal, de l’université de Harvard, on peut en effet invoquer l’hypothèse de l’effet tiroir quand il y a une proportion de 5 études non publiées pour une seule publiée.

→ Nous avons contacté Sally Rhine, la fille de Rhine, Docteur en psychologie, qui travaille au Rhine Research Center. Elle nous a confirmé ce qui est indiqué dans ESP after sixty years : « We can vigorously point to arguments that data were not selected even back in the early 30’s when experimental methods were not as sophisticated as they are today. »

Quelques autres détails concernant les expériences de Rhine

Profitons de cet article pour reprendre d’autres mythes pseudo-sceptiques concernant les travaux de J.B. Rhine.

→ Sur le plan statistique, rappelons la position de Burton Camp, statisticien qui présidait en 1937 L’institute of Mathematical Statistics, suite aux débats sur les travaux de Rhine :

Les investigations du docteur Rhine revêtent deux aspects : expérimental et statistique. Concernant le premier les mathématiciens n’ont évidemment pas à se prononcer. En revanche, pour le second, des travaux récents ont démontré que, si les expériences ont été correctement exécutées, les analyses statistiques sont essentiellement valides. Si la recherche de Rhine peut-être attaquée, ce doit être sur un autre terrain que celui des mathématiques.

– Dans ESP after sixty years, Rhine et Pratt indiquent 35 critiques proposées à l’époque pour démontrer des biais et des imperfections dans les travaux de Rhine. Cet ouvrage répond de façon argumentée et scientifique à l’ensemble des critiques de ces travaux.

Conclusion

Cet exemple permet d’arriver à un certain nombre de conclusions :

→ Henri Broch n’hésite pas à lancer de profondes contre-vérités concernant la recherche en parapsychologie, en particulier les travaux de J.B. Rhine. Il convient donc d’être prudent envers les affirmations d’Henri Broch quand elles concernent la parapsychologie.

→ Quand des sceptiques n’arrivent pas à trouver un biais dans des publications, ils finissent par se tourner vers des sources d’informations peu fiables, non corroborées par les compte-rendus d’expérience. Il s’agit là d’une attitude pseudo-sceptique.

→ Les diverses critiques existant concernant les travaux de J.B. Rhine ne permettent pas d’invalider les travaux de ce dernier.

*

Ajout 16/12/2007 :

Suite à quelques échanges avec certains de nos lecteurs, il nous paraissait important de préciser un point. Notre objectif avec cet article n’a pas été de « défendre » l’ensemble des travaux de Rhine. Nous avons simplement souhaité mettre en évidence des critiques d’Henri Broch à propos des travaux de Rhine qui ne correspondent pas aux données scientifiques existantes. Pourquoi était-ce important de l’indiquer ? Car des étudiants et des sceptiques croient réellement que les critiques d’Henri Broch sont pertinentes sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous encourageons les étudiants et les universitaires qui pourraient consulter les travaux d’Henri Broch à beaucoup de prudence. Le principal conseil que nous pouvons leur donner est de comparer dans le détail les critiques d’Henri Broch avec les travaux originaux.

Mais ce n’est pas pour autant que les travaux de Rhine ne sont pas critiquables. Nous pouvons notamment indiquer qu’ESP est connu parmi les parapsychologues pour ne pas avoir été bien rédigé. L’approche utilisée par Rhine manque parfois de rigueur et de pertinence dans cet ouvrage, qui ne peut de toute façon être considéré comme un modèle du point de vue méthodologique. C’est par exemple le cas pour certaines expériences lors desquelles les contrôles manquaient de rigueur, en particulier les expériences lors desquelles des sujets ont pu voir et toucher le dos des cartes. Mais contrairement à ce que laissent entendre parfois certains sceptiques, Rhine n’est pas vu comme un modèle par les scientifiques travaillant dans ce domaine. Il est davantage vu comme un précurseur, celui qui le premier a tenté de montrer que l’on pouvait tenter d’étudier scientifiquement ce sujet dans le cadre du laboratoire.

En outre, et c’est important de le préciser, Rhine et son équipe avaient conscience du manque de rigueur des premières expériences (ESP est surtout une tentative de montrer l’amélioration progressive des protocoles). Il faut se rappeler du contexte historique : ces expériences datent de plus de 80 ans et Rhine était le premier à réellement proposer une approche scientifique, en laboratoire, des « perceptions extra-sensorielles ». Certains critiques se sont servis du manque de rigueur de ces premières expériences pour invalider l’ensemble des travaux de Rhine. Mais une telle argumentation n’est pas valide du point de vue scientifique : de premières expériences peuvent manque de rigueur et les suivantes peuvent être tout à fait de qualité. Avec de telles argumentations, il serait possible de rejeter l’ensemble des connaissances scientifiques actuelles.

Tout cela pour dire que l’ensemble des expériences de Rhine n’ont pas été parfaites, et que certaines sont tout à fait critiquables. Nous souhaitions donc préciser ce point et indiquer clairement qu’une personne qui prétendrait que l’ensemble des expériences de Rhine sont parfaites ferait une erreur de même que critiquer les travaux de qualité effectués par Rhine à partir d’expériences antérieures est tout aussi injustifiable du point de vue scientifique.

Une réelle approche zététique, telle que nous espérons la défendre ne se nourrit ni d’une vision idéalisées des travaux des parapsychologues, ni d’une adhérence naïve à la première critique venue. Elle repose sur une analyse détaillée et scientifiques des protocoles existants, et de leurs critiques, et nous espérons que cet article aura au moins donné envie à certains de nos lecteurs de partager cette démarche.

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