Désinformation scientifique : le cas de l’AFIS

Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner quelques articles de l’Association Française pour l’Information Scientifique qui publie la revue Sciences et Pseudo-sciences (Voir ici).

Nous avons pu constater récemment la mise en ligne de deux articles déjà critiqués par nos soins (Scepticisme : la force de l’illusion chez l’AFIS et Henri Broch), sans mention ni prise en compte de nos arguments. Cette conduite nous étonne, et nous rappelons donc à l’AFIS quelques faits qui vont à l’encontre de ses propres principes d’information scientifique :

Persistance d’une croyance

Dans l’article d’Henri Broch, « La force d’une croyance peut être immense » (SPS, n°282, juillet 2008, p.35-40), désormais publié sur le site de l’AFIS, ce biophysicien membre du Comité de parrainage et du Conseil scientifique de l’AFIS prétend :

1/ Que les parapsychologues font un usage impropre des statistiques.

Pour soutenir la proposition 1/, aucune référence n’est donnée. Cette critique générale ne repose sur rien. Or, une commission de statisticiens avait déjà statué en 1937 que, si les conclusions de Rhine devaient être rejetées, ce ne pouvait pas être sur la base de son utilisation des statistiques (Camp, 1937).

2/ Plus spécifiquement, que Rhine « applique et fait appliquer systématiquement une loi binomiale sur un tirage de cartes… où il n’y a pas de remise ».

Une seule référence est donnée à l’appui de la proposition 2/ : dans une note de bas de page (note 4 p. 38), Broch se reconnaît pour source la « feuille d’instruction » incluse dans un paquet de cartes Zener breveté par l’Institut de Parapsychologie de J.B. Rhine. Cette source est insuffisante à plusieurs égards, et les membres du comité de lecture auraient dû demander de meilleures références. En effet, ce jeu de cartes est un produit dérivé et non pas l’équivalent d’une expérience scientifique. Il ne viendrait à l’esprit de quiconque de critiquer la chimie sur la base d’une boîte du parfait petit chimiste.
Nous avons néanmoins vérifié cette unique référence en nous procurant le jeu en question. Ce que nous y avons lu contredit complètement la proposition 2/ : a) aucune mention explicite n’est faite d’une application systématique de la loi binomiale, et le tableau indicatif des scores ne permet pas de dire cela ; b) le tirage effectué dans les trois protocoles décrits dans la feuille d’instruction se fait AVEC remise, et non pas SANS comme le prétend Broch.

Nous avons déjà analysé cet article dont le ton très affirmatif ne semble reposer sur aucune référence scientifique, et montre plutôt que Broch utilise des sources discutables, difficilement vérifiables, et dont en plus il inverse les données !

Persévérance dans l’erreur

Dans la section « Sciences physiques, Sornettes sur Internet » du même numéro de SPS (p.70-72 ; disponible en ligne), Jean Günther, polytechnicien, critique certaines dérives d’autres polytechniciens, au rang desquelles il range le créationnisme, le gnosticisme, la quête de l’Atlantide… et la parapsychologie !

Nous avons déjà esquissé une critique de cet article ici. Notre démarche a consisté à vérifier les sources de l’information, et nous avons pu constaté que ces sources n’étaient pas suffisantes pour soutenir les interprétations qu’en fait Günther. Par exemple, il reproche à Jean-Philippe Basuyaux de ne jamais manquer de mettre en avant son titre de polytechnicien « pour rendre plus crédibles les calculs statistiques douteux dont certains parapsychologues sont friands » (p.71).

Pour savoir de quels calculs il est question, on peut tenter de se référer à la source signalée (cliquez ici) : or, ce n’est rien qu’une sorte de glossaire pour une conférence sur l’utilisation des statistiques en parapsychologie. Qu’y a-t-il à redire aux définitions données du score z, de l’intervalle de confiance, ou de la méta-analyse ? Avec de telles dénonciations exemptes d’arguments scientifiques, l’AFIS se rapproche dangereusement d’idéologies et de pratiques qui n’ont rien à voir avec la science.

Recension de l’ouvrage « Le sixième sens. Science et paranormal »

Plus récemment, Jean-Paul Krivine, aidé de Nicolas Gauvrit, ont effectué une recension de l’ouvrage de Marie-Monique Robin et Mario Varvoglis publié en 2002. Il faut signaler que cet ouvrage de type « beau livre » s’adresse au grand public, et que cela influence la présentation des informations qu’il contient. On peut effectivement regretter cette approche vulgarisatrice (alors que le savoir controversé de la parapsychologie ne fait pas l’objet de consensus chez les savants, ce qui rend délicat voire prématuré l’exercice de la vulgarisation), l’emploi de nombreuses anecdotes, le manque de références à l’appui de toutes les assertions, et le ton résolument optimiste à l’égard des preuves du « psi ». Mais les critiques faites par Krivine et Gauvrit ne sont pas non plus exemptes de défauts.

1/ L’irrationnel de la rationalité

Krivine justifie (note 2) la recension tardive de cet ouvrage parce qu’il apporte un élément de plus à la décharge de Marie-Monique Robin, journaliste ayant réalisé récemment un reportage ayant influencé l’opinion publique sur les précautions à prendre en matière d’OGM.
Mais cet intérêt collatéral n’explique pas pourquoi on assiste à une critique du champ de la parapsychologie à partir d’un ouvrage grand public. Le second auteur, Mario Varvoglis, est un psychologue expérimentaliste, président de l’Institut Métapsychique International. En 1992, il a publié chez InterEditions un ouvrage faisant une synthèse, références à l’appui, des recherches scientifiques en parapsychologie (La rationalité de l’irrationnel : une introduction à la parapsychologie scientifique). Or, l’AFIS n’a pas fait de recension critique de cet ouvrage. Pourquoi s’intéresser à un ouvrage de vulgarisation, forcément plus léger quant à la précision de ses références scientifiques ? A maintes reprises, Krivine reproche au beau livre son manque de références précises, alors que la plupart des assertions ont été étayées par des références dans un ouvrage publié dix ans auparavant. La sélection effectuée par Krivine et l’AFIS nous interroge.

2/ Pseudo-critique de Rhine

Krivine consacre quelques lignes ainsi qu’un encadré pour discréditer le travail de J.B. Rhine, le père de la parapsychologie américaine. Voici ses affirmations et les informations en notre possession, consultables par tous :

Il ne reste de Rhine que des expériences jamais reproduites ;

C’est une idée reçue : les expériences de Rhine ont été reproduites plus souvent qu’on ne le pense et avec un résultat global significatif. Un inventaire de ces reproductions a été effectué en 1975 par Charles Honorton et publié dans une revue non-parapsychologique (Honorton, 1975). Il compte 50 études publiées, dont 33 provenant de chercheurs différents de Rhine et du groupe de l’Université de Duke. 61 % de ces études indépendantes obtiennent un résultat significatif en faveur de l’hypothèse ESP. De plus, les études avec le plus grand nombre d’essais et la meilleure taille d’effet furent obtenus par des psychologues de l’Université de Colorado ou du Hunter College de New York (Martin & Stribic, 1938 ; Riess, 1937). Un livre clef est Extra-Sensory Perception After Sixty Years (Pratt et al., 1940/1966) qui fait le détail des expérimentations réalisées, et qui a depuis été reconnu comme la première méta-analyse dans l’histoire des sciences (Bösch, 2004).

Rhine montrait une naïveté méthodologique ;

Les parapsychologues ont reconnu les problèmes avec les premiers protocoles de Rhine, mais ils ont aussi montré que les critiques avaient permis de perfectionner les expérimentations jusqu’à atteindre une rigueur reconnue par tous (Pratt et al., 1940/1966). C’est cette rigueur méthodologique de l’école de Rhine qui fut l’argument principal de l’entrée de la Parapsychological Association au sein de la prestigieuse AAAS en 1969.

Il y eut des fraudes avérées de ses collaborateurs que Rhine n’a jamais voulu dénoncer ;

L’attitude de Rhine par rapport aux fraudes qu’il a pu constatées a été décrite comme exemplaire, même par des sceptiques. Le cas de la fraude de Walter Levy, démasquée par ses collègues parapsychologues, et dénoncée immédiatement par Rhine (1974) sans concession pour les travaux antérieurs de ce chercheur, est en tout point exemplaire. Malheureusement, des sceptiques (tel Hansel, 1980) tentèrent d’utiliser l’affaire en diffusant une version erronée où ce sont des « techniciens » extérieurs qui découvrirent la fraude que les parapsychologues auraient ensuite essayé d’étouffer. C’est cette version mensongère qui est généralement diffusée d’une façon pseudo-sceptique (par exemple, Broch, dans l’article cité précédemment ainsi que dans la plupart de ses livres).

Rhine aurait prêté crédit aux pouvoirs d’un cheval « lecteur de pensée » (capable de deviner un chiffre ou une lettre mentalement choisie) jusqu’à ce que le magicien Milbourne Christopher démontre qu’il s’agissait d’un tour de foire bien connu.

Nous avons déjà analysé les expériences de Rhine avec la « jument télépathe » Lady Wonder. Plusieurs imprécisions dans le texte de Krivine nous laissent penser qu’il se réfère plus au mythe pseudo-sceptique forgé à partir d’une relecture de cet épisode, qu’aux articles scientifiques publiés dans The Journal of Abnormal and Social Psychology (Rhine & Rhine, 1929ab).

Les Rhine connaissaient les études précédentes qui avaient failli à mettre en évidence un véritable phénomène inexpliqué qui ne serait pas réductible à un tour exécuté par un cheval dressé plus ou moins consciemment. Selon les Rhine (1929a, p. 450), on ne peut conclure à la télépathie que si une pensée est transmise alors qu’il y a une obstruction physique à l’échange d’informations, et qu’on ne découvre aucun moyen physique expliquant cette transmission.

Krivine dit que le cheval est un « lecteur de pensée » : or, il ne s’agit pas là que de faire deviner au cheval des cibles mentalement choisies, car dans 160 des 209 expériences effectuées, les chiffres de 1 à 10 sont sélectionnés par Rhine et inscrits sur un tableau.

Krivine laisse penser que c’est la démonstration de Christopher Milbourne, ex-associé du CSICOP, qui aurait découragé Rhine. Or, la démonstration de Milbourne n’a eu lieu qu’en 1956. La véritable histoire est que les résultats des Rhine une fois publiés, et avec les réserves qu’ils avaient annoncées, d’autres chercheurs ont tenté de les reproduire avec la même jument en obtenant des résultats variés. Les Rhine ont alors décidé de conduire une nouvelle série d’études qui furent négatives, et les publièrent la même année dans le même journal. Ils ont conclu que la jument avait perdu ses capacités, ce qui expliquait pour eux les réussites constatées dans leur première étude. Ils invitaient alors les chercheurs à expérimenter dans des conditions mieux sécurisées avec des sujets humains.

La démonstration de Milbourne a consisté à placer la jument et sa propriétaire dans des conditions peu contrôlées (par exemple, cette dernière peut tenir la bride et transmettre subrepticement des informations) pour ensuite conclure que les fuites sensorielles expliquaient tout. Il a aussi supposé que la jument devinait les chiffres à la façon dont ils étaient écrits sur l’ardoise (technique du pencil reading), mais il a généralisé cette supposition à toutes les expériences des Rhine avec la jument sans tenir compte des différentes précautions qu’ils avaient prises à cet effet.

En somme, ce qui dit Krivine de Rhine est une pseudo-critique ne s’appuyant pas sur la littérature scientifique mais sur des rumeurs ou des falsifications historiques.

3/ L’éternelle histoire du Titanic

La critique de Gardner citée par Krivine est intéressante mais incomplète. Nous conseillons la lecture de Méheust (2006) dont nous partageons les réserves critiques quant au roman pseudo-prémonitoire de Robertson.

4/ Les expériences avec le tychoscope

En quelques lignes sur la psychokinèse, Krivine fait les assertions suivantes, que nous comparons à nouveau avec nos données :

La laboratoire de parapsychologie créé par Ambroise Roux au sein de la Compagnie Générale d’Electricité a fermé car il n’a rien apporté de concret. Marie-Monique Robin diffuserait une information infondée à ce sujet quand elle dit que Roux a obtenu des résultats très significatifs.

En réalité, c’est la nationalisation de la CGE en 1981 qui a conduit à la fin des activités de recherche mis en place par son PDG. Un compte-rendu relativement succinct des expériences et résultats du Laboratoire de parapsychologie peut être lu dans (Roux, Krippner & Solfvin, 1986). Il est fort probable que Robin tire de cette source ses informations sur des expériences de Roux aux résultats significatifs. Ce polytechnicien a permis l’élaboration d’un modèle industriel du tychoscope, robot se déplaçant de façon aléatoire conçu par l’ingénieur Pierre Janin. 24 exemplaires étaient disponibles en 1981 pour les chercheurs, et certains furent notamment utilisés par Rémy Chauvin et son élève René Péoc’h.

Krivine renvoie à une analyse critique des expériences de Péoc’h.

Krivine montre à nouveau sa sélection partiale des informations : l’analyse critique à laquelle il se réfère a déjà été complètement réfutée en 2002 par Pierre Macias (Les contes de Péoc’h : critique de la critique). Alors que Péoc’h a publié ses expériences dans sa thèse de médecine et dans des revues professionnelles, l’auteur de la critique, Damien Triboulot, ne réagit que par rapport à un reportage à la télé. Au lieu d’une analyse statistique, il a sélectionné quelques graphiques appropriés à son raisonnement, alors que l’analyse globale des données le contredit. Il a aussi supposé un biais expérimental qui n’est pas valable dans le protocole utilisé par Péoc’h en 1986.

5/ La fraude non déclarée

Krivine accuse les auteurs de l’ouvrage de ne pas mentionner les informations qui vont à l’encontre de leur thèse. Ainsi, une expérience sur l’efficacité de la prière aurait été démystifiée sans que le lecteur ne soit mis au courant. Voici le commentaire de Krivine pour la mention de cette expérience à la page 113 de l’ouvrage : « Élisabeth Targ a ainsi mené plusieurs expériences sur l’influence de la prière à distance sur des malades gravement atteints. Pour l’une d’entre elles, la fraude a été dénoncée. Mais le lecteur ne le saura pas. »
Une référence est donnée à l’appui de ce propos : il s’agit d’un article du CSI (ex-CSICOP) publié en septembre 2003 (The Ongoing Problem with the National Center for Complementary and Alternative Medicine). Cet article mentionne un autre article arguant d’une fraude de la psychiatre Elisabeth Targ, publié en décembre 2002 (Bronson, P. 2002. A prayer before dying, Wired Magazine, Issue 10.12, December). L’étude qui est attaquée est celle-ci : Sicher, F., E. Targ, D. Moore II, and H.S. Smith (1998). A randomized double-blind study of the effect of distant healing in a population with advanced AIDS. Report of a small scale study.

Maintenant que nous avons tous les éléments en main, nous pouvons analyser la pertinence de la critique de Krivine :
L’article de Bronson accuse Elisabeth Targ et ses associés d’une fraude. Ils auraient manipulé les données en cassant le double aveugle afin de récupérer des informations qu’ils n’avaient pas prévu de mesurer, et qui donnèrent des résultats significatifs (nombre de visites médicales, durée de l’hospitalisation, et nombre de maladies associées au Sida se montrant favorables au groupe traité par rapport au groupe contrôle). Cet article est à l’origine d’une controverse : il repose sur des témoignages faits après la mort de Targ (juillet 2002), alors que l’étude a été publiée en 1998 ; et il prétend que les chercheurs ont été à la pêche aux corrélations significatives, alors qu’ils mesuraient depuis le départ plusieurs canaux et n’effectuaient pas seulement une comparaison entre les patients qui allaient mourir dans le groupe témoin et dans le groupe traité à distance par la prière. Comme le dit Krivine, « une fraude a été dénoncée », mais pas strictement avérée.

Krivine reproche à Robin et Varvoglis de ne pas mentionner cette controverse, mais celle-ci n’avait tout simplement pas débuté lors de la publication de l’ouvrage en octobre 2002. Les sources de Krivine sont postérieures à la publication du livre, puisqu’elles datent de septembre 2003 et décembre 2002.

6/ Einstein, enrôlé malgré lui !

Krivine se plaint dans un encadré que les partisans du paranormal se servent d’Einstein comme caution pour leurs recherches.

S’il est vrai que la citation attribuée à Einstein par Marie-Monique Robin nécessiterait d’être référencée, la position du prix Nobel a de quoi encourager les chercheurs. Il a lu et préfacé le livre de son ami Upton Sinclair (1930) sur ses expériences d’ESP, mais il a aussi lu Rhine puis les travaux envoyés par Ehrenwald. Il répond à celui-ci (en mai et juillet 1953), dans des lettres dont Krivine dit avoir pris connaissance sans en livrer le contenu, que son attitude a changé : il est passé d’une position sceptique à une position plus neutre quant aux faits, bien que toujours réticent sur le plan théorique. N’en déplaise à Krivine, la position d’Einstein fait l’objet de spéculations y compris de la part de « sceptiques », puisque le CSICOP l’a enrôlé comme l’un des dix plus formidables sceptiques du XXe siècle (Skeptical Inquirer, 2000), en dépit de l’absence d’articles ou exposés critiques de sa part.

7/ Les pseudo-explications scientifiques

Krivine présente les explications des phénomènes proposés dans l’ouvrage comme un mélange indigeste de concepts mal compris, censé impressionner le profane par l’association avec des grands noms de la physique. Six citations extraites du livre sont regroupées dans un encadré intitulé : « La mécanique quantique et la relativité malmenées ».

Le problème est que ces citations sont elles-mêmes des citations ou des résumés fidèles des propos de leurs auteurs, lesquels sont effectivement des grands noms de la physique. David Bohm a effectivement fait des rapprochements entre non-localité et phénomène psi ; Costa de Beauregard a effectivement inclus les phénomènes psi comme des prédictions de sa théorie du temps ; Eugène Wigner a effectivement postulé que la conscience était l’agent effectuant la « réduction du paquet d’ondes » au cours de spéculations largement partagées par la communauté des physiciens sur les théories observationnelles ; Karl Pribam a effectivement proposé un modèle holographique de la conscience ; certains théoriciens postulent effectivement l’existence d’énergies subtiles qui pourraient rendre compte des phénomènes psi (ce sont des objets de recherche qui sont même presque triviaux en Asie, et auxquels sont consacrés des revues scientifiques). En somme, que Robin et Varvoglis soient critiqués parce qu’ils résument des spéculations émises par d’autres, cela n’est pas juste. Si Krivine veut s’attaquer à ces modèles spéculatifs proposés depuis un demi-siècle en réponse aux difficultés qui malmènent vraiment la mécanique quantique et la relativité, c’est une tâche honorable qui ne doit pas être mélangée avec la critique d’un livre de vulgarisation. La tentative pour faire de ces extraits des exemples d’ « impostures intellectuelles » échoue car ceux-ci restent relativement compréhensibles et suffisamment fidèles aux propos de leurs auteurs originaux.

8/ Reproductibilité relative et reproductibilité absolue

Krivine reproche aux auteurs de vouloir se passer de l’objectivité et de la reproductibilité qui sont pourtant des fondements de la démarche scientifique.

En réalité, dans les citations qu’il commente, les auteurs ne font qu’aborder la perspective abyssale qui s’ouvre si on adopte une certaine interprétation de la physique quantique. Si l’observateur humain est partie prenante du phénomène de mesure, la notion classique d’objectivité est mise en défaut. Les remarques de Krivine à ce sujet sonnent comme un déni, alors que la question fait effectivement l’objet de débats au sein de la communauté scientifique. Quant à la reproductibilité, les auteurs de l’ouvrage affirment que les phénomènes parapsychologiques ne sont pas reproductibles à la demande, du fait du rôle déterminant joué par le facteur psychique, ce qui compliquerait la réception des preuves parapsychologiques. Il est indéniable que certains sceptiques ont déjà requis une reproductibilité absolue des phénomènes psi, souhaitant par exemple qu’une personne revendiquant des capacités paranormales soit capable d’en faire la preuve en un faible nombre d’essais et dans des contextes hostiles.

Nicolas Gauvrit intervient alors dans un encadré expliquant qu’avec l’emploi des méthodes statistiques dans plusieurs disciplines, « la science n’exige pas des phénomènes constants ». Un phénomène stable, dont l’effet apparaîtrait lors de la sommation d’un grand nombre d’études qui peuvent être individuellement non significatives, satisferait aux critères d’une preuve scientifique. Gauvrit cite les tests de l’efficacité d’un médicament ou les statistiques appliquées en sciences humaines, et dénonce ainsi le sophisme qui voudrait que la science n’accepte pas les phénomènes ayant une reproductibilité relative.

On ne peut être qu’effaré devant une telle argumentation : les parapsychologues défendent ce point de vue depuis plus d’un siècle ! C’est à croire que Gauvrit n’a jamais consulté un article de parapsychologie. Il avait déjà émis une critique sur les utilisations fallacieuses des statistiques en parapsychologie, auquel nous avions répondu (Les tromperies de l’AFIS : Nicolas Gauvrit et la parapsychologie) en lui indiquant des publications salutaires, notamment de la professeure de statistiques Jessica Utts. Mais il avait persévéré dans sa sélection des informations, conséquence d’un biais de confirmation le faisant aller dans le sens de ses préjugés. Gauvrit achève son encadré en proposant un moyen trivial pour tester la télépathie, sans se rendre compte qu’il a un siècle de retard (Le prix Nobel Charles Richet est le premier à avoir appliqué les méthodes statistiques en sciences humaines lors d’évaluation de tests d’ESP sur cartes, cf. Hacking, 1988). Le propos serait comique, s’il n’était pas alarmant de la part d’un maître de conférences en mathématiques auteur d’un manuel de statistiques à l’usage des étudiants en sciences humaines !

9/ Citation de Hansel

Krivine reproche aux auteurs de l’ouvrage de ne pas rendre assez bien le point de vue des sceptiques dans les encadrés prévus à cet effet à chaque chapitre. Il est agacé d’une citation particulièrement dogmatique du sceptique Hansel qui est donnée sans référence.
Il pourra trouver cette citation dans l’ouvrage classique de Hansel (1980). Pour une revue historique des affirmations dogmatiques émises par les sceptiques, deux articles peuvent être consultées :
Bauer, E. (1984). Vue d’ensemble sur les critiques et controverses en parapsychologie
Zingrone, N. (1998). Failing to go the distance : On Critics and Parapsychology

Conclusion

Au lieu d’être un outil efficace contre un ouvrage de vulgarisation qui fait la part trop belle aux anecdotes et à l’optimisme, cette recension est une attaque dont on ne sait si elle est dirigée contre la journaliste Marie-Monique Robin ou contre les parapsychologues. Si l’ouvrage prête à la critique, car il ne reflète pas dans le détail l’état de la littérature scientifique en parapsychologie, les arguments avancés par Krivine et Gauvrit se révèlent souvent infondés, jouant plus sur la condescendance que sur des références précises.
Ainsi, en publiant en peu de temps plusieurs articles attaquant la parapsychologie plus que la critiquant, l’AFIS semble suivre une mauvaise pente, celle de la désinformation. Malheureusement, de telles pratiques ne permettent pas le développement d’un débat scientifique sain et de qualité et nous ne pouvons qu’une nouvelle fois alerter le public et le monde universitaire face à ces dérives. Si l’AFIS souhaite critiquer la parapsychologie, cela nous semble tout à fait positif, tant qu’elle respecte les méthodologies et l’éthique habituelle du monde académique. Mais si cela doit conduire à l’utilisation de procédés de désinformation – pourtant critiqués par l’AFIS – nous ne comprenons plus le sens d’une telle démarche.

Références

Bösch, H. (2004). « Reanalyzing a meta-analysis on extra-sensory perception dating from 1940, the first comprehensive meta-analysis in the history of science » in 47th Annual Convention of the Parapsychological Association.

Bronson, P. 2002. A prayer before dying, Wired Magazine, Issue 10.12, December

Camp, B.H. (1937). (Statement in Notes section.). Journal of Parapsychology, 19, 305.

Hacking, I. (1988). « Telepathy : Origins of Randomization in Experimental Design ». Isis, 79, 427-451

Hansel, C. E. M. (1980). ESP and parapsychology : A critical re-evaluation. Buffalo, NY : Prometheus Books.

Honorton, C. (1975). Error some place. Journal of Communication, 25, 103-116.

Martin, D.R., & Stribic, F.P. (1938). Studies in extrasensory perception : I. An analysis of 25, 000 trials. Journal of Parapsychology, 2, 23-30.

Méheust, B. (2006). Histoires paranormales du Titanic. Paris : J’ai lu.

Pratt, J.G., Rhine, J.B., Smith, B.M., Stuart, C.E., & Greenwood, J.A. (eds.) (1940/1966). Extra-Sensory Perception After Sixty Years. Boston, US : Humphries.

Rhine, J.B (1974). A new case of experimenter unreliability, Journal of Parapsychology, 38, 215-225.

Riess, B.F. (1937). A case of high scores in card guessing at a distance. Journal of Parapsychology, 1, 260-263.

Sicher, F., E. Targ, D. Moore II, and H.S. Smith (1998). A randomized double-blind study of the effect of distant healing in a population with advanced AIDS. Report of a small scale study. Western Journal of Medicine 169(6) : 356-63.

« Ten Outstanding Skeptics of the Century ». Skeptical Inquirer, January/ February 2000.

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