De la croyance au scepticisme : la zététique n’est pas un sport de combat

La psychologie du « croyant »

L’Observatoire Zététique a publié récemment sur son site Internet un petit texte anonyme qui est exemplaire à plus d’un titre et que nous souhaitions commenter.

Il montre tout d’abord de façon tout à fait pertinente, et de l’intérieur, la pensée du « croyant » ou « tenant ». Souvent influencé dès l’enfance par son entourage familial, il baigne dans un univers à la fois normal et « paranormal » : guérisseur, histoires de tables tournantes, etc. C’est souvent la dimension expérientielle du paranormal qui est mise en avant, dimension qui vient souvent en opposition d’une démarche scientifique jugée réductionniste.

Comme le remarque fort justement l’auteur de l’article, il est très difficile pour une personne baignant depuis toujours dans ce milieu de changer d’avis. Cela revient à mettre en cause une grande partie de ses convictions et de ses croyances, mais cela conduit également à interroger celles de sa famille, de ses proches. Les études scientifiques effectuées sur la question montrent d’ailleurs que les personnes qui évoluent ainsi dans ce type d’environnement paranormal, et qui développent ce que les psychologues appellent une fantasy proneness (tendance à l’imaginaire) ont généralement deux origines. La première est effectivement une influence par l’environnement familial dès l’enfance. L’enfant va adopter, par imitation, le même rapport au monde que ses parents. La deuxième origine est la possible rencontre avec un ou des traumatismes, les croyances ou les expériences paranormales pouvant parfois faire office de stratégie d’adaptation. Les modèles actuels des psychologues montrent que la nature du ou des traumatismes en question est complexe et multi-factorielle. Précisons cependant un point important : si cela nous renseigne sur les sources des croyances et des expériences paranormales, cela ne précise par leur nature sur le plan objectif.

Ainsi, il est tout à fait possible de vivre avec ces croyances et de ne jamais les remettre en cause. Cela mène aussi souvent à ce que l’auteur de l’article appelle une forme d’évangélisation des autres : tenter de convaincre les autres que ce paranormal existe bien. Lors de cette étape, toute approche critique ou scientifique est généralement jugée comme persécutrice. Elle vient attaquer certains fondements de la personnalité de ces personnes. En outre, la domaine du paranormal demeure généralement pour ces personnes un lieu merveilleux qui est davantage régit par le droit au rêve, à l’irrationnel, que par la réalité. Cependant, cette approche est souvent liée à l’affirmation : « Je suis rationnel ». En effet, ces personnes revendiquent une grande rationalité. Il s’agit généralement d’un moyen de conforter ses croyances et de mieux « convaincre » l’autre en rendant ainsi sa parole plus fiable.

La psychologie du « sceptique »

L’auteur du récit va cependant changer d’attitude, pour rejoindre progressivement un groupe sceptique. Pour quelles raisons ? Les causes sont bien entendues multiples et complexes mais ont peut cependant repérer deux facteurs certainement prédominants : le fait que cette personne ait grandi dans un environnement sensible au paranormal (et non le développement de ce type de croyances après une succession de traumatismes, ce qui peut rendre ces croyances plus profondes) et le fait qu’il ait suivi une formation scientifique.

Ces deux facteurs sont associés à un « catalyseur » : la rencontre avec un ouvrage pseudo-sceptique, en l’occurence un livre d’Henri Broch et Georges Charpak. Commence alors un réel travail de questionnement concernant ses croyances initiales et la mise en place d’un nouveau systèmé de croyance. En effet, du point de vue psychologique, la formation scientifique de cette personne à certainement engendré une situation de conflit entre ses croyances initiales et ses connaissances issues de ses études.

Mais le fait de se tourner vers un groupe comme l’Observatoire Zététique, et d’aller jusqu’à raconter ainsi son histoire, n’est pas anodin. Et c’est aussi pour cette raison que ce texte est intéressant. Il montre le trajet « typique » d’un sceptique appartenant à un groupe sceptique, allant d’une première idéologie à une deuxième idéologie. Plusieurs chercheurs se sont déjà penchés sur cette question en étudiant dans le détail la psychologie des membres de groupes sceptiques, allant jusqu’à parler de pathologie des groupes sceptiques. Les raisons de ces dérives proviennent probablement du fait que si le contenu des croyances change, le rapport à ce contenu est identique : il reste fondé sur une approche globale et rassurante.

Ceci explique généralement la raison pour laquelle les groupes d’amateurs du paranormal et les groupes sceptiques fonctionnent en miroir : ils mettent en jeu les mêmes mécanismes fondés sur des principes idéologiques. L’idéologie « paranormale » peut ainsi être transformé en idéologie « sceptique ». Dans les deux cas, le rapport au paranormal, jugé dans les deux cas comme merveilleux et extraordinaire, est central.

Dans le cas des croyants au paranormal, c’est la notion d’ouverture qui prime. En revanche, chez le sceptique, le système de pensée repose davantage sur la maitrise en lien avec les outils scientifiques : vision d’une science toute-puissante qui permet d’expliquer le réel de façon exhaustive en fonction de nos connaissances actuelles. Ceci explique souvent ces délimitations particulièrement nettes que les sceptiques tendent à créer entre « science » et « pseudo-science », établissant du coup un clivage pouvant apparaître comme rassurant.

Le débat immobile entre « croyants » et « sceptiques »

Dans les deux cas, ces pensées, comme le montre bien l’auteur de ce texte, sont des pensées militantes. Il n’est pas seulement question de ses croyances : il est aussi et surtout question des croyances des autres. Nous sommes ici, aussi bien du côté « tenant » ou « croyant » que du côté « sceptique », dans des représentations et des dynamiques de pensées relativement détachées de la réalité objective des expériences scientifiques sur la question. Ce paranormal, objet merveilleux teinté de représentations naïves, est avant tout un objet qui permet de penser certaines réalités psychiques internes. Cette guerre pour démontrer l’existence, ou l’inexistence de ces phénomènes, n’a donc le plus souvent pas grand chose à voir avec la rationalité et l’objectivité. C’est aussi pourquoi ces deux approches ont généralement pour écueil de ne pas s’interroger sur leurs origines.

Ce texte permet aussi de mieux comprendre pourquoi il est difficile pour ces groupes d’échanger. Chacun pense avoir fait le trajet inverse de l’autre : le croyant à le sentiment d’être un sceptique, une personne rationnelle, qui est progressivement devenue un défenseur du paranormal ; le sceptique à le sentiment d’être un ancien croyant qui est progressivement devenu sceptique.

Ce problème est particulièrement complexe lors des discussions avec des sceptiques. Tout argument interrogeant la possible réalité d’interactions psi est perçu comme une forme de régression à cette croyance antérieure qu’ils ont eux-même abandonnés. Ainsi, celui qui interroge la réalité de ces phénomènes est souvent perçu ainsi : « Moi aussi j’étais comme toi, moi aussi j’y ai crû ». Ce phénomène rend le débat scientifique difficile car il se traduit souvent par le refus de consulter en détail les travaux scientifiques sur la question. Ceci explique en partie l’absence dans les ouvrages sceptiques francophones d’ allusion aux recherches scientifiques sur ces sujets. En effet, cela n’intéresse par ces personnes, de même que le croyant ne souhaite parfois pas participer à des expériences. Dans les deux cas, cette attitude provient peut-être du fait qu’elle pourrait mener à un nouveau retournement de pensée.

Pour notre part, nous défendons une approche scientifique et zététique qui cherche à s’émanciper, dans la mesure du possible, de ces enjeux psychodynamiques et idéologiques. Par quel moyen ? En prenant conscience, ne serait-ce qu’en partie, de ses propres motivations, de ses propres modes de pensée, en essayant de repérer d’éventuels effets de dissonance cognitive. Cela nous semble être une voie intéressante pour permettre un abord neutre et scientifique de ces questions.

Conseils pour un zététicien éclairé

Pour terminer sur une note positive, nous poserons cette question : Que conseiller à un lecteur qui aurait effectué le même trajet que le membre de l’Observatoire Zététique ? Nous avions déjà abordé en partie cette question dans notre article sur le sceptique parfait, en soulignant des indicateurs objectifs permettant à chacun d’évaluer dans quelle mesure son abord est neutre ou non. Pour sortir de cette « guerre » entre tenants et croyants, nous pensons qu’il n y a qu’un moyen : étudier, dans le détail les publications scientifiques et les débats dans ce domaine, pour se rendre compte que la réalité est autrement plus complexe que ce qu’en décrivent les « croyants » et les « sceptiques ». Cela passe notamment par les étapes suivantes :

→ Reprendre les ouvrages sceptiques et les comparer avec des ouvrages rédigés par des scientifiques travaillant sur ces questions.

→ Pour les points de désaccord entre les versions des ouvrages sceptiques et les ouvrages scientifiques, se référer aux publications originales afin d’étudier dans le détail dans quelle mesure ces ouvrages rendent compte précisément de ces recherches.

→ Échanger avec des universitaires, sceptiques et parapsychologues, afin de se faire un avis qui compare de façon détaillée les arguments de chacun.

→ Prendre connaissance des écrits provenant des sciences humaines sur ces questions : psychologie, anthropologie, sociologie mais aussi philosophie pour mieux saisir leurs enjeux épistémologiques.

(Photo : The New Yorker November 30, 1998)

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